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Oc e No - Opus Cornoneterralis Et NOvellae
28 décembre 2020

LA LEGENDE

Le site "pailhasses.com" n’existant plus, continuons à exhumer ses archives en les agrémentant de nouvelles informations complémentaires :


LA LÉGENDE HISTORIQUE / L'HISTOIRE LÉGENDAIRE


Déjà pour commencer, pourquoi une légende et d'où sort cette histoire ?

21Pailhasses d'après la légende de Pompilius par Ricesco (2010)

A Cournonterral, depuis fort longtemps, les gens faisaient pailhasse et, à vrai dire, l'essentiel était de s'amuser. "D'où venait ce rite ?", "qui ou quoi en était à l'origine ?" n'était pas la principale préoccupation des participants. Une petite et légère histoire circulait pourtant :


L'ANCIENNE LÉGENDE


En des temps anciens, le seigneur de Cournonterral avait interdit que l'on coupe du bois dans les forêts communales et que l'on même paître les troupeaux dans les garrigues.
Ces terres, disait-il, lui appartenaient.
Tout contrevenant subissait un châtiment sévère et exemplaire.
Le peuple, au comble de l'exaspération se révolta.
Malgré la résistance d'une milice forte, il prit d'assaut le château où résidait son suzerain et l'obligea à revenir sur sa décision, jugée arbitraire et contraire à la pratique coutumière.
Pour fêter cette victoire des petites gens sur l'autorité féodale, on institua la tradition des pailhasses.*

* Forme du texte qui circulait durant le XIXe siècle


Pas de nom, pas de lieu précis, "en des temps anciens" ... Cette histoire très vague ramène, peut-être, à un conflit passé entre seigneur et vassaux. Mais lequel et quand ? Y'a t'il eu un réel conflit, un événement particulier de cette teneur dans l'histoire de Cournonterral ? En fait il y en a eu plusieurs et à différentes époques durant la période féodale (qui s'est tout de même étalée du Xe siècle à la Révolution) ! Voyons cela :

- A : Le Consulat à Cournonterral. Sur une longue période allant du XIIIe au XIVe siècle, les bourgeois du lieu ont menés de longues batailles envers les seigneurs de Cournonterral. Un long conflit d’intérêts qui a abouti à la création du consulat. Victoires et revers ont jalonnés ce parcours. Léger rappel :

   - En 1238, les bourgeois gagnent un première (du moins la première connue) campagne contre les seigneurs (en l’occurrence Vassadela et son fils Raymond Vassadel). Ils y gagnent l'annulation pure et simple de plusieurs impôts.

   - Après une période d'accalmie, en 1299, les hostilités reprennent. Les seigneurs de Cournon s'attèlent à imposer et contraindre les banalités et s'attaquent aux droits d'usage. Droits d'usage que l'ont peut comparer à "la pratique coutumière" du texte de "L'Ancienne Légende". Lorsque l'on parle d'us et coutume, ce n'est pas de fêtes, danses et plume dans le cul qu'on fait référence, c'est d'usage et pratique. Pour simplifier : une personne qui pratique une activité (pas sportive !) comme ramasser du bois dans un lieu précis ou mener paître un troupeau par habitude et ce depuis plusieurs générations, cela devient pour lui un droit de pouvoir continuer librement : un droit d'usage ou de coutume. Droit contre lequel un seigneur ne peut pas (en théorie !) s'opposer.

   - Tout cela mènera à la création du consulat en 1344 (ce qui n'empêchera pas les conflits de continuer). Les conflits entre gens du peuple et seigneurs, qui aurait pu justifier l'ancienne légende, ne manquent pas durant cette période et pour ceux qui voudrait en savoir plus, je rappelle de lire "Le Consulat à Cournonterral" par Alexandre Germain.

- B : L'Affaire des Bois de Cournonterral. Les histoires et les conflits passés durant les XIIe et XIVe siècles ont été réédités durant le XVIIIe siècle. L'affaire de bois ne concerne pas que les bois mais celle-ci s'étale sur de nombreuses années et ne prendra fin qu'à la Révolution (de 1778 à 1793 exactement). Cournonterral, pour la première fois de son histoire, n'a pas plusieurs co-seigneurs mais un seigneur unique : Etienne de Portalès. Le gars est plutôt vénal et totalitaire (oui, c'est un vrai gros méchant !) et n'hésite pas à être hostile (un doux euphémisme !) envers les gens du lieu. Les droits d'usage sont à nouveau bafoués, les banalités imposées de force, intimidations, menaces, etc ... cela conduira même jusqu'au meurtre. Pas le temps de s'ennuyer à Cournonterral ! Un événement particulier durant cette période peut justifier à lui seul le texte de l'ancienne Légende :


   - En février 1787 (le 20 ou 21) : "Un caporal et 3 soldats du Vermandois arrivent au cabaret* le dernier jour de carnaval pour porter la désunion et le trouble ... C’est ainsi qu’au sein même des orgies, de la liberté et du plaisir des confidences trompeuses, s’efforçaient de semer la division pour recueillir la vengeance ... sous des prétextes simulés, le caporal et les soldats avaient feint de regagner la ville. La nuit arrive : un bruit affreux se fait entendre au corps-de-garde des chasseurs ; des pierres volent de toutes parts ; les chasseurs se mettent à la poursuite des coupables ; l’obscurité les favorise ; le premier consul demande la permission aux soldats pour découvrir les auteurs du crime. On court ça et là dans l’obscurité, rien ne se présente ; les fuyards ont disparu : un bruit léger se fait entendre, on écoute, et les traces d’un homme sont reconnues ; on vole au bruit et le coupable est arrêté ... Ce coupable travesti était ce même caporal qui quelques heures plutôt avait cherché par ses propos à rendre suspects les habitants de Cournonterral, Il est conduit devant le commandant : les reproches d’un homme d’honneur viennent couvrir de confusion ce vil suppôt de la haine ; on le renvoie au corps de garde. A peine y est il arrivé que la femme du chasseur de M. de Portalès vient pour lui rendre son habit d’ordonnance, et reprendre la veste de son mari dont le caporal s’était servi pour se déguiser, le lendemain il est traduit à Montpellier sous l’escorte d’un détachement ..."

* Le cabaret en question est le futur cabaret de Laus situé juste derrière la boucherie sur le Plan de la Bibliothèque. Ce cabaret était un "haut lieu" d'amusement et de débordement. On y reviendra prochainement.


Tous les éléments (événements, travestissement, course poursuite, date, etc ...) sont présents dans ce texte pour justifier l'ancienne légende (et même pour justifier les pailhasses tout court ! Mais ça, c'est un autre propos, on y reviendra une autre fois !). Pour connaître les moindres détails de l'affaire des bois de Cournonterral se référer à l'excellent chapitre écrit par la non moins excellentissime Francine paru dans le livre intitulé COURNONTERRAL : Etienne François de Portalès, seigneur de Cournonterral contre la Communauté du lieu (pages 49 à 54) ainsi qu'aux écrits de L. Segondy parus dans le journal communal : "Une communauté en lutte contre son seigneur : l'affaire des bois de Cournonterral (1778-1793)".

Les écrits de Segondy


Voila, on a presque fait le tour de l'ancienne légende. Qu'en est-il de l'actuelle ?


- Légende ? Comment ça ? C'est pas une vraie histoire ?

- Ton monde vient de s'écrouler mon ami ? Prends une aspirine, je t'explique !

Au XIXe siècle à Cournonterral vit un petit personnage, petit par la taille mais démesuré par l'égo, appelé Pompilius Bastide. Égocentrique et aussi bien Mythomane, Pompilius a réinventé toutes les légendes qui avaient cours à Cournonterral. Le bonhomme a également passé son temps à chercher un moyen de laisser une trace dans l'histoire. Il écrivait de nombreux textes en Oc ou en français et de plus était actif dans la vie politique du village ; il en a été 2 fois maire. Une première fois de 1885 à 1888 et une seconde de 1904 à 1908. Trouvant que son propre nom de faisait pas très sérieux, le personnage se fait surnommer Lius par ses amis (ça fait moins pouêt-pouêt que Pompilius) et cherche à rallonger son nom de famille : son premier mandat de maire, il le brigue sous le nom de Bastide Tieule (du nom de sa femme) ; quelques années plus tard, il se fera appeler Bastide de Clausel (ou Claussel) puis Bastide de l'Oulieu (une particule ça en rajoute !). Un dernier détail : le gars déteste les pailhasses. Le jour des cendres il se rend à sa bastidetta en garrigue prés de l'actuelle M102 (route de Murviel) et ne rentre au village que le soir tombé pour constater les dégâts. Il est vrai que, des mecs drôlement habillés, complétement bourrés et qui salopent les rues, en tant qu'élu ça le fait pas. Après son premier mandat de maire, le gars brigue à nouveau le poste mais n'ayant pas convaincu il est barré par des gens plus compétents comme François Fanjaut ou encore Émile Parguel.

Le gars a du temps à perdre entre ses mandats et dans l'espoir d'être un jour réélu, il se prépare. Il écrit énormément, se fait son cinéma et essaie de palier à un soucis auquel il a été confronté en tant que maire : les pailhasses ! S'il estime que les pailhasses sont juste des sauvages dégueulasses, il sait aussi très bien qu'ils sont intouchables, toute la population de Cournonterral peut se retourner contre lui. S'il ne peut pas les interdire, il peut toujours essayer de les "édulcorer" ! Le gars vit un peu sur son nuage et est un piètre politique mais n'en reste pas moins quelqu'un de cultivé. Avec son habitude de tout réécrire, il s'attaque à la légende des pailhasses. Il veut y donner du corps, y donner de l'âme. Pour cela il va s'inspirer de l'histoire générale, des archives conservées à Cournonterral ainsi que de ses connaissances sur les traditions Montpelliéraines et Niçoises. La tache est ardue et Pompilius s'y reprendra à plusieurs fois ; le texte doit être suffisamment parfait pour paraître histoire acquise. A l'image du personnage, tout dans la modestie, le texte aura le titre de "La véritable origine des pailhasses de Cournonterral" et la mouture finale, de mars 1900, prendra la forme suivante :


LA LÉGENDE MODERNE


- C'était en 1346, après la bataille de Crécy (1), et la poudre à canon ne devait pas être connue à Cournonterral puisque le château-fort ne renfermait pour la défense des murailles et des hauts du lieux, que des arbalètes, deux caisses pleines de vires (2) ou flèches, trente manillons (3) de fer, des jacques (4), des costumes de maille, des épées et des javelots (5).
- Ces seules armes suffirent aux Cournonterralais pour soutenir une lutte des plus vive contre les habitants d'Aumelas et les Maseliers (6) voisins.
- Du temps immémorial, il était permis aux habitants de Cournonterral d'aller couper, dans les forêts communales et seigneuriales attenantes à celles d'Aumelas, le bois mort des yeuses (7) dénommé en languedocien : cimèla.
- Les habitants d'Aumelas moins favorisés par la nature de leur sol que ceux de Cournonterral, voulaient avoir seuls le "droit de lignerage" (8), privilège qu'ils considéraient comme étant la source la plus sûre de leurs revenus.
- Une haine sourde régnait dans les cœurs.
- Le lendemain d'une journée de pluie, alors que les gens de Cournonterral allaient, suivant l'antique coutume, les uns montés sur des ânes, les autres sur des carrioles traînées par des bœufs ou des chevaux, faire bonne charge de bois, les Aumelasiens et les Maseliers embusqués, les accueillirent à coup de fronde et de flèches.
- Cournonterralais et Cournonterralaises soutinrent de leur mieux une lutte inégale, plusieurs furent blessés et rentrèrent sanglants à Cournonterral.
- Le bruit de cette défaite se répandit vite dans la Commune, les Consuls, le Seigneur s'en émurent et ce dernier ordonna à son bayle, Palhas (9), de parer à une nouvelle éventualité. L'officier du seigneur réfléchit et s'inspirant sans doute de son nom, il proposa au "haut justicier Guillaume de Cournon" (10), un système d'épouvantail (11) humain qui fut adopté.
- Une "battue aux renards Aumelasiens" fut décidée entre les Consuls, le Seigneur et le peuple. Quatre-vingt-dix hommes et dix femmes formèrent une compagnie sous les ordres du chef Palhas. Ces "cent gardes" (12) furent ainsi équipés :
- Pour les hommes : bottes cloutées, jambières en peau de renard, légèrement farcies de balle d'avoine, cotte de mailles sur la chemise de toile rousse, et par-dessus, un large sac de grain, ouvert de façon à pouvoir passer la tête et les bras, sac farci de paille par devant, par derrière, et serré aux reins par une corde ou une courroie. La tête était couverte d'un bonnet de laine (13) multicolore qu'un jet d'osier tordu et cousu en spirale faisait tenir "haut et ferme". Le visage était masqué d'une peau de blaireau (14). Le tout agrémenté de plumes d'oie ou de dinde (15) et de rameaux de buis (16), symbole de résistance. Chacun portait en bandoulière son carquois garni de flèches et l'arbalète sur l'épaule.
- Pour les femmes : souliers bas cloutés, guêtres en toile grise, cotillon en peau de renard, justaucorps dit matelote, en toile bleue recouverte d'une cotte de maille, toque en fourrure de blaireau, surmontée d'une aigrette en plumes d'oie ou d'un rameau de buis, et retenue par une large jugulaire en velours ou en drap au menton. Comme armes, la fronde et la faucille aux reins, le javelot en main.
- L'une d'elles était munie de boites de secours pour les blessés.
- C'est sur dix chars attelés de mules que la petite armée se mit en route pour Aumelas par Lamouroux (17).
- Une femme, Erméniars (18), de tout temps à la tète du parti populaire de Cournonterral, secondait son chef : Palhas.

aumelasAssaut des pailhasses sur les fagoteurs Aumelassiens d'après les textes de Pompilius par Ricesco (2011)

- Au bois de l'Olivette (19), l'avant garde de la compagnie aperçut les Aumelasiens en train de dévaster la forêt. Elle approcha, criant, hurlant comme des loups, fondant sur eux.
- Pris de frayeur à la vue d'une troupe si originalement vêtue, les "fagoteurs" s'enfuirent cherchant à s'embusquer derrière une roche ou une touffe d'yeuses.
- Les Cournonterralais descendirent de leur monture et tandis que les uns cernaient le bois, les autres y pénétrèrent et poursuivirent leurs ennemis.
- Se ravisant, faisant fronde de toute pierre et feu de tout bois, les Aumelasiens et les Maseliers se défendirent vaillamment. Mais harcelés, blessés, fatigués, leur honneur étant sauf, ils durent céder à la force et au droit.
- Prisonniers ils furent emmenés à Cournonterral devant les Consuls et le Seigneur. Admonestés, soignés de leurs blessures, ils passèrent la nuit dans les souterrains du Fort-Viel et furent rendus à la liberté après avoir juré sur les Saintes Évangiles de respecter à l'avenir gens et biens de Cournonterral.
- Parmi les cents gardes il y en eu qui reçurent des flèches dans les jambières, dans la cuirasse de paille, dans le bonnet rigide de laine ou dans la toque de blaireau. Ce dont ils se montrèrent fiers.
- Palhas reçut pour lui et ses guerriers les plus chaleureuses félicitations des Consuls et du Seigneur qui, voulant montrer aux populations voisines que toute atteinte portée aux droits seigneuriaux et communaux ainsi qu'aux libertés et usages locaux, serait vigoureusement réprimée par la solidarité cournonterralaise, décidèrent qu'en commémoration de ce haut fait d'armes une manifestation publique serait autorisée tous les ans le mercredi soir des cendres.
L'ordre du cortège était ainsi réglé :
1) Ouvrant la marche, le plus bel homme de la localité, costumé en pailhasse (20) et tenant en main un long et fort bâton d'yeuse (21), insigne de son commandement ;
2) Les jeunes gens de 15 à 20 ans (22), accoutrés selon l'originalité de chacun, les uns tapant sur des casseroles de cuivre (les tambours), les autres soufflant dans des olifants (les clairons) ;
3) Le char des frondeuses, monté par dix femmes portant la faucille au coté gauche, et la fronde en main. Aux quatre coins du char étaient entassées les pierres rondes du Coulazou, munitions gardées par quatre pailhasses armés de javelots ;
4) Palhas à cheval, en costume de bailli, l'épée au clair ;
5) Les pailhasses, à pied, avec carquois munis de flèches et arbalète sur l'épaule ;
6) Le char des Consuls en chaperon aux armes de Cournonterral "D'azur à chef losangé d'argent et de sinople" (23);
7) Le char du Seigneur Guillaume de Cournon ;
8) Le char des Prisonniers ;
9) Le char de la Victoire, conduit par ''Erméniars'' ;
10) Le char de la liberté, monté par le peuple.
Ainsi se déroulait dans les rues de Cournonterral cette superbe cavalcade qui, depuis près d'un siècle a dégénéré de plus en plus et a fini par céder la place aux saturnales d'avant-guerre (24).


A noter que ce texte, ayant été repris par bribes en 1962, comporte une fin différente (fin alternative écrite par Pompilius lui-même en 1898) :


- Emmenés à Cournonterral devant les consuls et les seigneurs, admonestés et soignés de leurs blessures, ils passèrent la nuit dans les souterrains du fort-viel et furent rendus à la liberté après avoir "juré sur les Saintes Évangiles de respecter à l'avenir, gens et biens de Cournonterral".
- L'officier centurion Pailhas, la femme Armeniars (25) qui dirigeait la gent féminine reçurent avec tous les guerriers, les plus chaleureuses félicitations.
- Il fut décidé qu'en commémoration de ce "haut fait d'armes" une manifestation publique serait autorisée tous les ans le mercredi des cendres.
- Le seigneur des hauts lieux, "Guillaume de Cournon" fit placer aux quatre coins du fort des barriques de vin afin que tout le monde du pays puisse festoyer et boire à volonté.
- Ce jour-là, ce fut une telle orgie, et les gardes tellement saouls, qu'ils éventrèrent les barriques et se roulèrent dans le vin répandu à terre, d'autres s'aspergeaient.
- Depuis ce temps, le nom de Pailhasses est voué à la postérité en souvenir de celui à qui l'on doit ce haut fait d'armes.


Pompilius essaie de faire publier son texte dès 1897 dans diverses revues mais la légende est refusée par tous. La secrétaire du "Petit Méridional" envoie une fin de non-recevoir au prétexte d'y voir un plaidoyer politique de la part de Pompilius. Effectivement, si aujourd'hui, cela ne saute pas aux yeux, pour l'époque et les événements contemporains, cela est plus évident : Pompilius se prend pour ce M. Palhas, le chevalier blanc qui va sauver la commune. Le Petit Méridional était un journal franc-maçonnique, société dont faisait parti Pompilius.


Comme dit plus haut, Pompilius était contre les pailhasses mais en tant que bon opportuniste qui se respecte il n'a pas hésité a en faire usage pour servir ses propres intérêts :

Les élections de 1904 approchent et le maire Parguel, en place, se représente pour un nouveau mandat. Parguel a été convaincant en tant que maire et sa réélection ne fait aucun doute. Impossible de le battre ... sauf si on utilise les coups bas et Pompilius va s'en faire un plaisir ! Donc, à l'approche de carnaval, Parguel édite un arrêté (décembre, date d'émission des arrêtés lors du dernier conseil annuel. Voir article précédent : LE PALLAISSOU). Arrêté qui existe depuis la Révolution et est réédité chaque année sous, plus ou moins, la même forme. Cet arrêté est toujours réemployé de nos jours (chercher sur le site officiel de la commune, les arrêtés de carnaval 2020 sont visibles). En son temps, Pompilius a déjà usé de ces arrêtés mais là en profite pour sauter sur l'occasion, n'hésitant pas à mentir : "Parguel est fils d'étranger (sa mère était Aveyronnaise !) et de plus veut interdire les pailhasses !". Cela suffit à mettre le feu aux poudres et toutes les factions opposées (politiques, religieuses, etc ...) se retrouvent réunis sous une même bannière : celle du pailhasse ! Les manifestations houleuses s'organisent devant l'Hôtel de ville, se succèdent et Parguel est chansonné (extraits) :

"VOLEM FAI DAU PALHASSA / "NOUS VOULONS FAIRE DU PAILHASSE
L'USATGE DAU PAÏS / LA TRADITION DU PAYS
TCHACUN SE DIBERTIS / CHACUN SE DIVERTIE
AÏCI SEU AQUESTA PLACA / ICI SUR CETTE PLACE
S'AQUO TE COUBEN PAS / SI CELA NE TE CONVIENT PAS
AU MENS DEVRIES ANAR / AU MOINS, TU DEVRAIS RETOURNER
AU PAÏS DE TA MAÏDE / AU PAYS DE TA MÈRE
AQUI LO VERIES PAS." / TU NE LE VERRAS PAS."

Le seul tort de Parguel fut celui de vouloir réintroduire un pourcentage de lie-de-vin dans la mixture : les rues étant en terre battue, l'odeur persistante de lie étant moins dérangeante que celle de la merde (pour l'époque, d'après témoignage, l'odeur persistait plus de 6 mois dans les rues). Il va sans dire que pour les élections, Parguel se fait laminer par Pompilius. Il continuera à vivre discrètement à Cournonterral où il décédera en 1949.

Dès sa réélection, Pompilius retourne une nouvelle fois sa veste et essai de contrer les pailhasses en éditant l'arrêté communal stipulant (et au passage, remettant sa légende sur l'avant scène) :


"Le jour des cendres, une coutume locale, souvenir du moyen âge, commandait au peuple de se rendre travesti sur la plus grande place publique du village pour s’y réjouir.
Les chars enguirlandés des arquebusiers et des frondeurs, précédés ou suivis par des groupes à pied de bâtonnistes ou paillasses, symbolisaient la défense locale contre toute atteinte à la charte consulaire et aux libertés communales.
Depuis un demi-siècle ce droit coutumier a singulièrement perdu de son autorité.
Le symbole qui en était la parure est tombé plus que dans la boue. On dirait qu’un esprit de barbarie outrage notre cité.
Jadis les Paillasses étaient pénétrés de sentiments de fierté locale, de responsabilité morale et libertaire et la foule qui les suivait et les acclamait, se plaisait à admirer leur séduisante désinvolture, sous un accoutrement quasi-majestueux. De nos jours les Paillasses aux couleurs et odeurs variées, inspirent à beaucoup de gens de la répugnance et une certaine terreur, tout étranger de passage ce jour là dans notre localité est ému, sinon indigné à la vue de ce spectacle écœurant.
S’il est vrai qu’en France le ridicule tue, laissons lui le soin de perpétrer son œuvre.
Cela dit, "Le jour des cendres prochain", les habitants pourront s’esbaudir selon l’ancienne coutume ou la nouvelle s’ils le préfèrent, et je compte sur le bon sens des manifestants et des curieux pour qu’aucune atteinte ne soit portée à la liberté des citoyens, au respect de la famille et de la propreté, que je place à bon droit sous la sauvegarde des agents de l’autorité municipale. L’arrêté du 24 Décembre 1903* et approuvé le 30 de la même année est toujours en vigueur."

* L'arrêté du 24 décembre 1903 est celui de l'ancien maire Parguel. Celui-ci ayant disparu (!) des archives, c'est par le texte de Pompilius que ce dernier est aujourd'hui connu.


Pompilius ne s’arrêtera pas là et continuera à se plaindre et à légiférer contre les pailhasses et leurs pratiques de nombreuses fois durant toute la durée de son mandat.


LES 25 RENVOIS DE LA LÉGENDE


- 1) CRECY : Crécy-en-Ponthieu, 26 août 1346, défaite des armées du roi Philippe VI face aux archers Gallois. Les terres d'Aumelas (Cardonnet), soi-disant, appartenaient par hérédité à la couronne d'Angleterre (mais ça, c'est encore une légende qui a la peau dure, Pompilius le croyait lui aussi !). En fait Pompilius change le déroulement de l'histoire en attribuant une victoire symbolique des français sur les anglais (pailhasses sur Aumelassiens).

- 2) VIRES : Carreaux d'arbalète (mal orthographié "vivres" en 1962).

- 3) MANILLONS : Références prises sur la lettre patente de CHARLES VI datée du 27 avril 1394 (88 EDT 186, voir plus bas). L'acte original, en latin, ayant disparu depuis fort longtemps, celui-ci a été recopié au tout début du XVe siècle en français. Le copiste n'ayant pas bien compris le terme l'a orthographié "manillon" (ou "mouvillon" ou "mourillon", le mot n'est pas très lisible et compréhensible). Il s'agit en fait du MOUFLE (treuil) ou MANIVELLE amovible de réarmement pour arbalète.

- 4) JACQUES : Références prises sur la lettre patente de CHARLES VI datée du 27 avril 1394 (88 EDT 186). Mal orthographié en 1962 en JACQUET. La JACQUE ou JAQUE est une veste de protection matelassée.

- 5) JAVELOTS : Lettre patente de CHARLES VI datée du 27 avril 1394 (88 EDT 186). "Vérifications que les murailles ont été réparées et fortifiées au frais des consuls" ; inventaire du bayle et des consuls des armements et défenses des murailles et des personnes (pour la prévention des attaques des compagnies de routiers anglais)*. Le document original à été retranscrit en français comme suit :
Pour la garde et défense de la muraille :
- 30 ARBALETES.
- 30 mourillons (ou mouvillons, ou mouvuillons, ou manillon) de fer (mot mal retranscrit).
- Deux caisses pleines de VIRES (voir plus haut) ou FLECHES.
- 30 pièces d'HARNOIS (épées, hallebardes, gourdin, etc ... harnois = ensemble de l'armement).
- JACQUES (voir plus haut).
- PLATES de FER et COTTES de MAILLE de FER.
Pour chaque habitant ou chef de maison :
- EPEE.
- Plusieurs JAVELOTS ou DARDS (armes de jet).
Dans les maisons du lieu et pour les habitants du lieu :.
- Plusieurs autres PETITS HARNOIS (dague, couteau, bâton, lance pierres, etc...).

* Voir article : L'HISTOIRE MEDIEVALE, partie 3 : les seigneurs et la guerre

- 6) MASELIERS : Habitants des mas (maisons de campagne, ferme). MAZELIER: autre nom du boucher (Thalamus Parvis). Surement un jeu de mot dans la légende !

- 7) YEUSE, CIMELA : Chêne vert. Le 12 avril 1339, devant le bayle Guillaume FIRMIN, les syndics s'opposent à une interdiction abusive sur la ramasse des bois et la chasse sur les terres de FERTILHIERES. Ce passage peut aussi rapporter au conflit de "l'affaire des bois de Cournonterral" opposant les habitants à M. de PORTALES au XVIIIe siècle date à laquelle l'histoire a été rééditée.

- 8) DROIT DE LIGNERAGE : Pratique de la coupe et ramassage de bois. Droit accordé par les seigneurs aux habitants.

- 9) PALHAS : Le bayle (prévôt) était le représentant de l'autorité du Roi ou du Prince, il était chargé de faire appliquer la justice et de contrôler l'administration. En 1346, le bayle en place à Cournonterral se nomme Guillaume FIRMIN, suivit de Pierre VIDAL en 1348. D'après Pompilius, PALHAS aurait donné son nom aux Pailhasses (origine du nom de famille : celui qui possède un pailler ou un grenier). Si le bayle PALHAS n'est recensé sur aucune archive du moyen-âge, il existe tout de même un monsieur PAILHAS (François, originaire de Compeyre près de Millau) recensé dans les archives départementales de l'Hérault et ayant vécu à Cournonterral (première moitié du XIXe siècle). La famille Pailhas sera présente à Cournonterral jusqu'au début du XXe siècle*.

* Voir article : PAILHAS, nom légendaire ou véritable nom ?

- 10) GUILLAUME de CORNON : Né vers 1305 et décédé entre 1346 et 1348. Fils d'Othon de CORNON et de Fizas, marié à RAIMBAUDE et père de MIRACLA (dernière à porter le nom de "de Cornon"). Co-seigneur de Cournonterral avec Raymond de MONTLAUR et Bertrand d'AGNAC. Seigneurs contre lesquels ce sont opposés les syndics de Cournon : Guillaume-Bernard de TROIS-LOUPS, Hugues CRISTINE et Raymond FIRMIN, durant de nombreuses décennies jusqu'à l'obtention de consuls octroyant plus de droits et libertés aux bourgeois de Cournonterral et limitant ceux des seigneurs. Les premiers consuls nommés à Cournonterral le 8 Août 1344 sont : Bernard CRISTINE, Jean ETIENNE et Pierre DAVIN puis les suivants le 24 Juin 1345 : Étienne DAVIN, Pierre VERDIER, Pierre-Bernard de TROIS-LOUPS, etc ...

- 11) EPOUVANTAIL : L'épouvantail, également appelé PALHASSE, EMPALHAT, etc ... comme il est encore nommé dans d'autres lieux, est le roi de paille (ou roi de carnaval) et est le symbole utilisé pour repousser les choses néfastes (comme l'épouvantail dans les champs, accoutré de haillons, fait fuir les oiseaux).

- 12) CENTS GARDES : Renommé "nouvelle centurie" en 1962.

- 13) BONNET DE LAINE : Les bonnets de laine multicolores, rehaussés d'osier et fichés de plumes sont encore utilisés dans différents carnavals ou traditions en Europe (pays de l'est, péninsule ibérique, etc ... ). Les PLUMES de DINDE (sept au nombre des tours de Cournon) sont le symbole des fortifications et de la résistance du village, de fierté mais aussi peuvent être symbole de saleté et de bêtise. Le bonnet de laine (comme les bonnets phrygiens (symbole de la liberté), chapeaux pointus, bicornes...) ont été définitivement remplacés à Cournonterral par le gibus vers la fin du XIXe siècle.

- 14) PEAU DE BLAIREAU : La peau de blaireau était RARE, UTILE ET PRECIEUSE, elle n'a été que très rarement utilisée pour le rabas du pailhasse et ce, qu'après la moitié du XXe siècle. Le masque primitif en peau naturelle (chat, lapin, mouton, chèvre, tète de cochon évidée ...) des pailhasses est utilisé depuis la nuit des temps. Historiquement, les plus vieux rabas de pailhasses sont principalement en peau de chat ou de lapin. Vers le V/VIe et IX/Xe siècles lors de fêtes dites païennes (dont Carnavalaré) ; les jeunes gens masqués, de toile, de peau animale, de têtes d'animaux évidées, faisaient le tour des fermes et des maisons pour se faire offrir à manger, boire ... Le rabas doit son nom à la peau roulée (le RABAT) à la base du collier des animaux de travail qui, lorsque l'animal est au repos, est déroulée afin que la bête ne se refroidisse pas trop rapidement. Le rabas est aussi l'autre nom du blaireau, du putois et d'un mouton à laine pendante et grossière. Le rabas est confectionné par le pailhasse lui-même ou, quand cela est possible, hérité de son père. Devenu inutile, il est brûlé ou caché au fond d'une armoire. En aucun cas il n'est jeté ou prêté à un étranger.

- 15) DINDE : animal découvert qu'un siècle et demi plus tard sur le continent américain !

- 16) BUIS : invention "symbolique" de Pompilius pour la "résistance".

- 17) LAMOUROUX : retranscrit "Tamaroux" en 1962. Surement un jeu de mot de Léon Galzy (celui qui a validé les bribes de légende pour le texte de 1962) pour dire qu'ils étaient partis à la chasse au dahut !

- 18) ERMENIARS : Épouse de Pons CALVE de Villeneuve, soeur du syndic Guillaume-Bernard de TROIS-LOUPS (Guillelmum Bernardi de TRIBVS LVPIS, sûrement celui qui a inspiré, du moins en partie, le personnage du bayle PALHAS). Erméniars est connue pour avoir été très active à la fin du XIIIe/début XIVe siècle, ayant un caractère bien "trempé" : "Signalée comme une personne qui semble prendre plaisir à résister à tous les ordres, comme à violer toutes les défenses" (compromis du 15 Janvier 1302). Avec son frère, elle a mené une action punitive contre les maseliers à qui PIERRE de COURNON avait donné les droits de paissance sur les terres communales. Dans les archives de Cournonterral, seule une autre Ermeniars (Erméniardis GALVANCHII) apparaît sur une liste de votants en 1344 ; aucun acte particulier ne lui est attribué.

- 19) BOIS DE L'OLIVETTE : Lieu-dit se trouvant au dessus de concrétions rocheuses surplombant le Coulazou au nord de cournonterral près de Féraillès. Olivette était aussi le nom donné aux jeunes filles (un peu l'équivalent des catherinettes) accompagnant la sortie de l'Arlequin comme les jeunes femmes du village accompagnaient les pailhasses avant l'apparition des blancs (jusqu'à la fin XIXe siècle). L'abbé FAVRE y fait référence dès la moitié du XVIIIe siècle.

- 20) LE PLUS BEL HOMME : Avant la guerre de 1914/18, ce n'est pas tout le monde qui pouvait vétir l'habit du pailhasse. Il y avait des volontaires et parmi eux, seulement certains étaient selectionnés dont un, le plus méritant, qui endossait le rôle principal, les autres l'accompagnants. Ce système sélectif est toujours de mise comme à Prats-de-Mollo-la-Preste pour les fêtes de l'Ours.

- 21) FORT BATON D'YEUSE : Probablement un relent du THYRSE utilisé par le meneur depuis au moins le XVIIIe siècle (abbé FABRE).

- 22) LES JEUNES GENS : De même pour la sélection du plus méritant, l'age et le statut social défini la position de chacun : avant le service militaire en blanc, après le service en pailhasse ...

- 23) LE CHAPERON : Attribut qui servait à distinguer différentes classes sociales durant le moyen-âge (consuls, médecin, etc ...). A Cournonterral, le chaperon des consuls n'était pas aux couleurs du blason mais de rouge uni (oui, un chaperon rouge ! Et c'est pas une blague).

- 24) SATURNALES D'AVANT GUERRE : Les Saturnales avaient lieu, durant l'antiquité, du 17 au 23 décembre. On ne sait pas si à une époque ou une autre des festivités avaient lieu à ce moment là à Cournonterral. La guerre à laquelle Pompilius fait référence est la guerre franco-allemande de 1870.

- 25) ARMENIARS : Mal orthographié en 1962. l'écriture correcte de ce prénom est bien ERMENIARS (prononcé erméniarz ou erminjarz). Ce prénom est une autre forme du prénom Ermengarde.

Comme vu avec ces 25 renvois, les dates ne correspondent pas, les personnes non plus, beaucoup d'erreurs, d'incohérences et d'anomalies. Pour ceux qui connaissent un minimum l'histoire du village, il est évident que ce texte n'est qu'une légende. Pour les autres, je ne citerais que Paul REDONNEL qui écrivait en 1898 : "L’imagination de poète de mon ami Bastide de Clausel a créé une légende jolie et digne d’être vraie. Il est possible que dans quelques années la fable récente pénètre la légende ancienne. Nos neveux en démêleront ce qu’ils pourront* [...]"

* ça, c'est fait !


Pompilius n'était pas le seul élu qui était contre les pailhasses. D'autres, ont essayé d'interférer aux festivités mais ça, ce sera une autre histoire !


En attendant : AI VIST LO LOP par IN EXTREMO

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Commentaires
F
Bravo pour ce bel article. Quel travail de recherche !
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