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Oc e No - Opus Cornoneterralis Et NOvellae
15 novembre 2019

L'HOMME QUI MARCHE

De nos jours, une randonnée de ''x'' km dans le froid et la glace occupe la première page de tous les journaux et fait la une des chaînes télévisées. Qui donc est ce héros ? Quel est son nom ? A-t-il été connu, reconnu de tous ? En effet, il fait partie de ces milliers d’hommes qui, comme lui, ont accompli cet exploit. Cela se passait du temps de Napoléon. A la demande, notre homme écrit son périple. Ce sont de ses écrits (Journal d'un grognard de l'Empire) que le récit suivant est tiré. Son nom :


JEAN-BAPTISTE RICOME


Il nait à Cournonterral le 2 septembre 1789 de Jean-André Ricome ménager et de Catherine Rouvier. Il épouse Françoise Pasquier et meurt le 4 mai 1865. Voila le résumé de l'état civil de sa vie mais ce n'est pas ce qui nous intéresse ...

Rien ne le prédisposait à quitter son village et sa terre pour être militaire mais Napoléon Bonaparte a déclaré la guerre à une partie de l’Europe et tous les hommes valides sont enrôlés. Mobilisé le 1er avril 1808, il est envoyé faire ses classes à Grenoble et comment s’y rend-il ? A pied pardi !

Il met 14 jours pour y arriver en faisant deux pauses à Pont-Saint-Esprit et Valence. Il traverse Nîmes, Uzès, Pierre-Latte, Montélimar, Lauriol, Roman, Saint-Marcellin, Mauran et arrive à Grenoble (un peu plus de 300 km par l’autoroute). Equipé de mollets et d’un mental d’acier, notre bonhomme ne s’en laisse pas compter et une fois arrivé en ville, il s’y promène, admirant ses magnifiques jardins et ses superbes boulevards. Il remarque les jardins plantés d’arbres fruitiers. On devine l’homme de la terre, intéressé par les arbres, la végétation, la fertilité des régions qu’il traverse ... Mais finie la flânerie, Jean-Baptiste n’est pas là en touriste !

Ses classes faites, il part rejoindre sa garnison à Mont-Dauphin, à la frontière du Piémont. (un peu moins de 150 bornes, c'est pour s'échauffer !).

Grognards_par_RaffetLes Grognard, Auguste Raffet, 1838

Toujours à pied, il se retrouve le troisième jour à la Grave, pays montagneux où il lui arrive une aventure amusante. N’ayant pas de bois pour le feu, les habitants utilisent des excréments séchés de vache. Ricome et ses camarades préparent une soupe où tombe un petit morceau de bouse et c’est à la couleur et l’odeur qu’ils s’en aperçoivent. L’histoire ne dit pas s’ils avaient assez faim pour en déguster le contenu. Au bout de cinq jours (Vigile, Bourdoisan, La Grave, Briançon), ils arrivent à Mont-Dauphin où ils gardent des prisonniers anglais et font bonne chère ; petit détail pratique pour l'époque : le mouton se vend 15 centimes.

Le 20 décembre, ils repartent pour Toulon où ils arrivent le 29 (la Brun, Georges, Gap, Montauban, Cisteron-Aix, Roquevaire, Bausset ce qui fait environ 184 km (une broutille !).


Première aventure militaire de Jean-Baptiste


Pour son premier contact avec la guerre, lui le terrien, le marcheur, il est embarqué sur un navire qui porte des vivres et des matériaux au corps d’armée en garnison à Barcelone, il va vivre sa première bataille et sentir le feu de la mitraille. Enthousiasmé à l’idée de partir en expédition, il ne craint pas ''leur plus fier ennemi'' …« Nous savions que ''Messieurs les Anglais'' étaient répandus dans la Méditerranée et surtout sur les rives de la France. Mais nous nous connaissions car la terre n’a qu’un bon soldat, c’est le soldat français !! ». Comme tous ses compagnons, ils sont fiers de servir Napoléon et leur patrie : la France.

Pendant que se prépare l’expédition, égal à lui-même, il visite Toulon, le port, la rade … les navires dont il établit la liste. Tout le long de ses voyages, il se montrera curieux des villes et paysages qu’il rencontre. La flottille lève l’ancre le 1er octobre, elle se compose de 20 navires de commerce, de tonnages différents, et de plusieurs navires de guerre.

Le 11 une tempête éclate. Le bateau de Ricome perd trois marins tombés à la mer, un seul est sauvé. « Nous fûmes transportés de joie à la vue d’un infortuné qu’on venait de tirer du péril mais ce qui nous déchira le cœur ce fut d’abandonner les deux autres malheureux que les vagues mugissantes avaient emmenés loin de nous ».

En vue de Barcelone, soudain, à l’horizon surgissent des navires. Ils sont en grand nombre. Les Anglais ! Branle-bas de combat. Certains bateaux se détachent pour aller livrer bataille tandis que les autres essaient de retourner à Marseille. Impossible, les Anglais sont de nouveau sur leur chemin. Les navires se dirigent alors vers Sète. Aux environs de Villeneuve les Maguelone, la bataille s’engage.

Trop faible en effectifs, les Français reçoivent l’ordre de se préparer à l’abordage. Voyant cela les anglais décrochent et le navire de Ricome : le Borée peut se réfugier à Sète salué par les habitants.

Deux bâtiments le Robuste et le Lion se sabordent par le feu pour éviter d’être faits prisonniers. « Maguelone se dessinant à travers les flammes semblait porter le deuil de ce nouveau revers pour la France ... ».

Année 1809 il revient en garnison à Toulon, à l’arsenal « C’est curieux de voir le train qu’il y a dans l’arsenal de Toulon, on dirait que c’est la foire de Beaucaire ».

Puis service au fort de la Malgue où ont lieu de petits accrochages avec les anglais qui harcèlent le fort, puis début mai : garnison dans les îles d’Hyères. Les baraquements sont mal construits et Jean-Baptiste et ses compagnons passent leurs nuits dans des grottes ou sous des arbres ; les anglais harcèlent les iliens et pillent leurs provisions et leurs troupeaux. Un jeu de cache-cache s’instaure entre les anglais et les soldats français, chacun essayant soit de reprendre pied sur l’île pour piller, soit de les empêcher d’accoster. Mais un autre problème se pose : la chaleur de l’été fait pourrir les denrées alimentaires et les soldats « tombaient malades par centaines. la viande était toute noire et fourmillait souvent de vers ».Ils construisent un hôpital mais les chirurgiens sont nuls et les décès succèdent aux décès. Excédé, le colonel se rend à l’hôpital, les médecins pour prouver leur valeur renvoient cinq soldats sous prétexte qu’ils simulaient et ceux-ci meurent. !!! Début août, ils quittent Porquerolles pour l’île du Levant où ils dressent un piège aux anglais : ils font pâturer un troupeau de moutons au vue des bateaux ennemis ; ceux-ci, dans la nuit, se glissent sur l’île et emmènent le troupeau vers le rivage. Oh surprise ! Les soldats sortent de leurs cachettes et tuent environ deux cent soldats anglais.

Début octobre, ils accostent sur l’île de Porte-Crau (Port-Cros) et de nouveau, une nuit, ils mettent en fuite et tuent les anglais venus piller.

En janvier 1811, ils quittent les îles et partent pour Gênes. Il nous livre un petit commentaire touristique sur la ville : palais, port, maisons, églises, tout est beau.

Quelques jours de repos, et la marche reprend jusqu’à Plaisance. Neuf jours pour arriver enfin dans cette cité. Deux chevaux en bronze et l’hôpital où Saint-Roch de Montpellier guérissait les pestiférés attirent son attention. Simple soldat, il arrive cependant à s’informer : le fort de Mont-Dauphin a été construit par Vauban, Saint-Roch se retira dans un bois…Qui lui donnait tous ces renseignements ? Ils étaient donc réellement cultivés à cette époque !

Quinze jours de pause et ils repartent : Mantoue, Vérone. Le régiment se scinde et complète d’autres unités. Là il rencontre ''du pays'' deux de Cournonterral, un de Pignan, un de Montbazin, un de Montpellier. Puis de nouveau Bizance, arrêt, Brescia, Chambéry où le régiment reçoit de nouveaux appelés destinés à l’armée d’Italie en partance pour la Russie. Leur progression est difficile, entravée par la neige. « Le sol est si pauvre et si montagneux qu’il lui est impossible de suffire à tous ses habitants » et il explique ainsi la venue en France des petits savoyards qui avec une marmotte, qui avec une vielle. « On ne peut se dispenser de dire que les chiens du Languedoc sont mieux traités que les habitants de la Savoie ». Le froid est intense et ils se réfugient dans les bergeries. Un petit trait d’humour, rare chez cet homme : « c’était sans doute pour nous accoutumer plus tard dans les glaces de la Russie que l’on nous faisait séjourner dans les Alpes ». 50.000 jeunes soldats arrivent et le régiment se divise, une partie part pour Vérone, et l’autre pour Turin. Arrivés à Turin, ils accueillent 60.000 conscrits et s’en vont vers Milan. Passant par la plaine de Marengo, les officiers portent un toast aux soldats. Une pause à Milan où Ricome retrouve Faucillon de Cournonsec et Bernadou de Poussan. Ils visitent ensemble la ville admirant le palais royal, la cathédrale, une sculpture de cheval, l’eau lui sort de la queue, des oreilles, de la gueule, …

Début août, ils partent à Gênes mais là les navires sont absents et ils repartent vers Toulon … toujours à pied (il faut dire que pour l'époque, les transports en commun sont encore un peu du domaine de la science-fiction !).

Depuis Gênes jusqu’à Toulon, il trouve le paysage montagneux, improductif, misérable. « Les femmes et les enfants nous suivaient et nous portaient nos fusils pour un peu de pain » Ah ! S’il revenait maintenant la Côte d’Azur le laisserait sans voix !

De Toulon, ils s’en vont vers Marseille puis Toulouse où ils apprennent l’exercice aux nouvelles recrues et déjeunent tous les dimanches chez les parents de ces dernières.

Deux mois et demi plus tard, en avant pour Lyon, toujours à pied !!

Pour se remettre dans l'ambiance ...


Lorsqu’on compte très grossièrement les distances parcourues depuis Gènes vers Chambéry puis de nouveau Gènes jusqu’à Lyon, on arrive au total de 2750 km.


Campagne de 1812


A Lyon, le régiment se divise en quatre bataillons et le sien part pour Mayence. Après avoir pris de nouveaux soldats les quatre sections doivent se rejoindre à Berlin. Et voila une nouvelle marche : Lyon, Chalons, Besançon, Colmar, Belfort, Célesta, Strasbourg, Mayence. Dans cette cité il voit passer la garde impériale et l’impératrice Marie-Louise accompagnant Napoléon à Berlin.

A Berlin (1240 km) de nombreux et beaux équipages provoquent son admiration dont la garde de Murat, prince de Naples ; « nous étions tous contents d’appartenir à une si belle armée » Ils sont bien traités et espèrent que cela va continuer. Arrivés à Varsovie (580 km), ils attendent la déclaration de guerre à la Russie. Celle-ci est faite le 22 juin 1812.

Le 30 juin l’Empereur indique à chaque commandant le poste qu’il doit occuper.

Son capitaine lit l’ordre du jour et dit aux soldats : « J’espère que nous serons les dignes soldats de Friedland, de Tilsitt, de Marengo, d’Austerlitz, les braves de Wagram. J’espère que nous aurons un brillant retour et que nous augmenterons et confirmerons la puissance de la France ».

Mais la situation se dégrade très vite La Pologne est très pauvre, le sol ingrat et mal cultivé. La traversée de la Vistule se fait sur la glace. La neige tombe, recouvrant à moitié les soldats transis de froid. Ils dorment sous des hangars, ils n’ont plus de vivres, ils meurent de froid, de faim ; les chevaux meurent aussi et le long de la route il voit des équipages détruits. Courageusement, ils continuent leur chemin, les villages sont pauvres, le peu que les villageois ont, est pillé par les régiments . Enfin Smorgoné où ils vont trouver du vin et de la bière. Quel plaisir !

Et inlassablement ils continuent leur marche : le 25 juillet ils atteignent Sortija (Soritia) et le lendemain livrent bataille (combat de Kükowisczi). Il relate les faits : les français d’abord victorieux sont pris à partie par une batterie de 40 canons ; Le général Gudin enlève les positions de l’ennemi. La victoire leur est acquise mais à quel prix ! « La terre était inondée de sang, nous marchions que sur des cadavres » et Smolens est en flammes. Les habitants se réfugient dans les églises, ils ont faim, ils ont peur et ils pleurent la mort d’êtres chers.

« Les malheureux blessés restèrent sur le champ de bataille sans recevoir de secours, point d’ambulance, point d’hôpitaux ». le lendemain ils étaient décédés. La bataille coûte 600 hommes au régiment de Jean-Baptiste.

Ils continuent et livrent bataille le 9 août près du château de Jacoubovo. De nouveau, le combat est ardu, les russes perdent 5.000 hommes et les français 2.000 mais ils ont gagné !

Arrivés à Krasnoé, le prince roi d’Italie y établit son bivouac ; lui, a des provisions mais les soldats eux partent ''à la maraude'', ils trouvent dans une grange plusieurs petits cochons qu’ils s’empressent de voler et arrivés au campement de mettre à cuire. Manque de chance ! Surgit un détachement de russes et dans le feu de l’escarmouche, les cochons s’enfuient. Adieu le bon diner et le lendemain matin le capitaine leur demande s’ils ont bien soupé !!!

« Nous commencions mal cette campagne et tout nous semblait prédire qu’elle se finirait encore plus mal ».

Ils reviennent au-dessus de Smolens et de nouveau une bataille s’engage, le 127ème de ligne, décimé, reçoit un aigle pour récompense. Plusieurs officiers sont tués. Une note de mauvaise humeur de J.B Ricome qui ajoute : « Je dis que Napoléon quoique mon grand Empereur aurait mieux fait de songer à ceux qui vivaient plutôt qu’à ceux qui étaient morts et surtout aux pauvres blessés qui mouraient de froid sur le champ de bataille ».

Ils continuent leur marche et rencontrent des cosaques, l’escarmouche finit à l’avantage des français.

A Voremievo, l’empereur leur donne un temps de repos pour se procurer des vivres, nettoyer leurs armes car une bataille est proche. Le 6 septembre ils sont à Borodino où une pluie violente les accueille et ils restent « avec les habits mouillés jusqu’à ce que celui qui les avait mouillés, les séchât ». Le combat s’engage à 6 heures du matin, les russes ont 40.000 hommes et 50 généraux tués ou blessés, quant aux français, Jean-Baptiste ne fait la liste que des officiers tués.

VereshaginBataille de Borodino, Vasily Vereshchagin, 1897

Et ils reprennent leur marche. Le 24, bataille à Malo-Jaroslavetz où de nouveau a lieu un combat puis ils se dirigent vers Moscou et le 30 octobre ils sont à une demi lieue de Krasnoë, le 1er novembre ils bivouaquent à Viasma. Des cris se font entendre, ils vont voir et trouvent un français les deux jambes fracturées qui depuis un mois se traînait le long de la rivière et couchait dans le ventre des chevaux morts « leur chair encore fumante a pansé mes blessures mieux que tout autre médicament ».

De temps en temps, Jean-Baptiste raconte des faits qui l’ont ému, en particulier celui ci : des prisonniers étaient parqués comme des moutons et pour ne pas mourir de faim mangeaient leurs camarades morts.

Puis il reprend son récit et c’est alors que toute l’horreur de cette campagne de Russie nous est révélée. Le 6 novembre il neige si abondamment qu’il n’y a aucune possibilité de refuge. Ceux qui se sont blottis dans des fossés ont été ensevelis, ceux qui ne peuvent plus marcher meurent de froid.

« Enfin, les chemins, les sentiers, les routes étaient tellement jonchées de cadavres que des chiens de Moscou suivaient l’armée pour se repaître de notre sang ».

Bientôt ils arrivent à une rivière, le Duvoc, qu’il faut franchir mais c’est périlleux. Une vivandière qui avait suivi son mari avec ses enfants, avait une charrette chargée ''d’une petite fortune''. Elle ne put faire passer que ses enfants.

Le 15 novembre il rencontre la garde du vice-roi d’Italie, jeunes gens de grandes familles italiennes qui leur racontent leurs souffrances. Ils ne sont plus que 5.

Le 19 ils entrent dans Liadoni ; cette ville est en feu et dans l’hôpital, les soldats meurent carbonisés en appelant à l’aide.

Et au fur et à mesure qu’ils avancent ils rencontrent des mourants, certains leur demandent de donner les quelques sous qu’ils possèdent à leurs parents et « maintenant nous ne pouvons plus avancer. Adieu, adieu !!! »

Le 27 ils passent la Bérésina puis c’est Zimbin. « Là nous jetâmes un nouveau coup d’œil sur l’armée et nous vîmes qu’elle allait toujours en dégringolant. Sur toutes les figures la faim se faisait sentir, nos figures havres et amaigries demandaient : du pain ! ... du pain ! »

Le passage de la Bérézina est catastrophique ; deux ponts sont mis en place mais ils se rompent et ils traversent sur « des ponts en cadavres ».

Et la retraite continue avec son lot de morts, décédés d’inanition, de froid. Arrivés à Marienverderr, ils ne trouvent pas assez d’abris pour tous ; des prisonniers français les rejoignent. Un froid violent règne sur la ville. Heureusement il reste quelques magasins !

Continuant leur marche, ils rencontrent un convoi de 30 à 40 voitures transportant des soldats aux pieds gelés, mais les chevaux meurent et toutes ces personnes aussi.

Le 29 ils passent le Niémen, ils sont 20.000, à l’aller ils étaient 680.500. Quelle hécatombe !!

Cependant voyant le triste état de son armée, Napoléon avait décidé de rentrer en France le 5 décembre et confie son armée au Vice-roi. Jean-Baptiste a aperçu Napoléon avant qu’il parte : « il était bien portant, il était vêtu d’une redingote en poils de couleur jaune et portait un grand bonnet en laine qui lui préservait tout le coup du froid ».

Certains officiers sont rentrés en France à la suite de Napoléon. Jean-Baptiste n’est pas tendre dans ses conclusions : il pense que Napoléon voulait conquérir le monde avec des soldats valeureux certes mais qui n’avaient « pour tente que le firmament et pour vivre que le butin enlevé aux ennemis … et quant aux récompenses … quelques félicitations… »


Campagne de 1813


Ils arrivent au début 1813 en Pologne où les conditions de vie s’améliorent … légèrement mais ils se retrouvent aux prises avec des oiseaux nocturnes qui pénètrent dans leur abri et pendant ce temps des chiens affamés attendent leur pitance. Il dirige une escorte chargée de rechercher les retardataires et sur 1.955 soldats récupérés, il n’en restera que 65 à arriver en France ; le 24 janvier, venant de Moscou arrivent Faucillon et Jean Brun de Cournonterral.

La pause à Varsovie ne dure qu’un moment et le général décide de continuer la retraite. Arrivés à Calix , les russes les attaquent. La ville est en feu, les habitants périssent dans les flammes, les français sont en train de perdre la bataille mais miracle, alors qu’ils n’y croyaient plus, leur batterie disperse les ennemis. De nouveau, des morts, encore des morts.

Le 14 à Crofno nouvelle bataille après que le général eut refusé de se rendre. De nouveau les canons font reculer les russes et les français reprennent leur marche.

Le 18 février, ils passent en Prusse, mais dans la région suisse saxonne car les prussiens désirent se ranger au côté des russes.

Puis à Glogan, ils séjournent quelques jours mais nouvelle attaque et ils repartent. La Prusse se révèle aussi peu hospitalière que la Russie, ils cheminent avec difficulté dans des bourbiers où s’enfoncent les chariots.

Le 16 mars ils traversent l’Elbe à l’abri des actions russes. A Dresde, des soldats montent sur le clocher pour surveiller les mouvements de l’ennemi et Jean-Baptiste informe le général que des prussiens sont mêlés aux russes. Effectivement la Prusse vient de déclarer la guerre à Napoléon.

A Lutzen, une nouvelle armée de jeunes recrues et de canonniers de marine, musique en tête, est accueillie par les anciens. Napoléon ouvrait la marche. « les rossignols, les hirondelles par leurs chants, semblait chanter la victoire de la jeune et vaillante armée ». (un moral d'acier doublé d'une âme de poète !)

La bataille a lieu le 2 mai. Des officiers français sont tués, la victoire semble aller aux russes mais Napoléon galvanise ses troupes et c’est gagné ! Mais encore et toujours des monceaux de cadavres.

Ricome est pris entre deux sentiments contradictoires : il est navré du spectacle des blessés et des mourants mais est heureux d’en être réchappé.

Après cette bataille, ils doivent passer sur un pont mais un caporal le fait sauter avant que les régiments de Poniatowski et Macdonald l’aient franchi.

Le 29 mai une amnistie est signée entre les belligérants, elle va durer jusqu’au 18 juillet. Le 10 juin arrivée à Trente où Jean-Baptiste visite l’église où sont exposées les statues des évêques et des cardinaux qui avaient assisté au concile de Trente (une petite balade touristique ça détend les jambes !).

Le 8 septembre bataille avec les hongrois et autrichiens qui sont supérieurs en nombre. Acculés par la cavalerie ennemie, les français se retranchent derrière des palissades, deux régiments d’infanterie se mêlent au combat et la cavalerie recule, l’infanterie autrichienne prend position dans un petit bois et les français sont obligés de passer par là. C’est ainsi que Jean-Baptiste eut la jambe fracassée par une balle et non seulement cela mais deux autres balles lui percèrent son képi !! (en fait les soldats de Napoléon portaient un shako). La cavalerie hongroise passe puis repasse dans l’autre sens et piétine la jambe de J.B.

20190723170650163Uniforme de Ricome : 2ème à partir de la gauche

Fait prisonnier, il est amené en traîneau jusqu’au quartier général autrichien. Le prince Charles leur dit : « nous irons bientôt à Paris … je lui répondis : … tous les français ne sont pas ici, vous le saurez plus tard …» (c'est pas le petit Carlito qui va nous l'impressionner notre J.B !). Un colonel français lui promit de lui faire donner une récompense pour avoir si bien répliqué au prince mais cet officier mourut des suites de sa blessure.

A l’hôpital de Klakenfurt , les malades meurent les uns après les autres, la jambe de J.B ne guérit pas ; puis le nombre de médecins augmentent. La plaie finit par se fermer et J.B peut aller se promener en ville avec 4 autres soldats. Sur 450 blessés français, il n’en restait que 45.

Ce qui l'étonne c’est l’accueil fait par la population à ces blessés de guerre. Il discute avec d’anciens militaires autrichiens de leurs batailles, il est reçu dans certaines maisons et invité à dîner. Voyant un capitaine frapper un soldat, il dit son étonnement à l’officier de voir la passivité du militaire et voici la réponse : « vos soldats sont sensibles aux honneurs, aux récompenses mais nos soldats ne sont sensibles qu’aux coups de bâton ».

En juin la paix générale est signée et les prisonniers se mettent en marche pour rentrer chez eux. Il rencontre diverses personnes qu’il connait et arrivé à Inspruk, un capitaine français les prend en charge. A Strasbourg, il reçoit sa feuille de route et part rejoindre son régiment à Olendo. Là il revoit Antoine Closson et Enri Vidal. Réformé avec pension, il rentre au pays.


Que devient-il à Cournonterral ?


Nous connaissons de lui un discours prononcé lors où il parle de Napoléon III avec respect mais va surtout exalter la mémoire du grand Napoléon.

Il écrira et lira également des éloges funebres pour ses anciens compagnons de guerre.


Cet homme a connu toutes les horreurs possibles, résisté au froid, à la faim, à la mitraille. Il peut et est fier de lui, de ce qu’il a réalisé ; un véritable survivant.

Un cournonterralais, Paul Redonnel raconte une histoire sur un grognard de l’empire. Est-ce lui ? Tout porte à le croire. Sa bravoure, sa faconde, tous ces traits se retrouvent dans le portrait tracé par notre écrivain :


Portrait d’un grognard de l’empire par Paul Redonnel

La France d'Oc n°3 28 octobre 1894 Pagans et Paganes d'Oc (Documents pour un livre futur)


Moïse Terquarade


Tel est le sobriquet dont on l'avait affublé ; je parle du deuxième vocable, car Moïse était son prénom véritable dûment couché sur les registres de l'état civil. Jamais paysan plus loquace n'exista pour exubérer sa joie ou ses douleurs, voire les moindres incidents de sa vie.

Jouait-il aux boches ? si sa boule butant à quelque pierre s'arrêtait à mi-jeu, il s'exclamait: « Oi.' elle tourne comme une roue carrée dans de la sable ». Si le coup était trop fort et que sa boule dépassât le but : « Saccarra noum ! jurait-il, je lui ai donné trop de poivre » ou bien : laissez-la passer, qu'elle porte du sel ! ». Mais il ne donnait la mesure exacte de son esprit d'à-propos que lorsqu'il assistait au jeu en simple badaud. Alors il était vraiment remarquable de bonne humeur.

C'était un homme d'environ soixante-dix-neuf ans, à l'époque où j'eus l'heur de le connaître, bien planté et droit comme un I. Sa figure n'avait rien qui exprimât la sympathie, mais nonobstant il marquait bien.

L'oeil était vif sous les sourcils très longs et gris ; bombé et luisant, bosselé et de couleur jaune-cuivre, son front me représentait fidèlement le fond des païrois dont la batterie de cuisine de ma grand faisait lumière à voir.

Pas trop grand, ni trop petit; mais si trapu d'épaules que, ce jour-là, le regardant s'en aller, j'eus l'impression d'un loup se ramassant pour fondre sur sa proie. Sa démarche était lente et déhanchée.

C'est celui dont je t'ai conté l'histoire, me dit ma mère à qui je répétais les reparties que j'avais entendues. Et l'histoire à laquelle mes parents faisaient allusion m'avait frappé.

Sans doute, toutes les ripostes et lardons qu'on mettait à son compte ne suffisent pointa faire de Moïse un de ces types inoubliables dans les fastes locaux ; mais il était autrement intéressant que ces êtres simples et naïfs, avec qui il ne faut pas le confondre, qui cumulent les travers proverbiaux et caractérisent l'arborigène immortel de nos villages.

Moïse a bel et bien existé en chair et en os, irréductible. Il fut, si l'on veut, de cette espèce bien locale, bien méridionale et qui malheureusement tend à disparaître par le nivellement parisique et centralisateur, à moins que nous n'y mettions ordre de toute nos forces, de tout notre vouloir, de tout notre coeur.

Il avait servi sous Napoléon, l'autre, le premier; et de ce fait, il se croyait le droit de blâmer toutes choses de guerre moderne. Il partageait cette prérogative avec une huitaine d'anciens comme lui. C'est d'ailleurs aux histoires de combat que doit indirectement se rattacher celle dont je viens de parler et que je vais vous raconter.

Sous les remparts du village de C(ournonterral) coule après les jours de pluie, un torrent, le Coulazou, dont les ravages sont quelquefois fort désastreux. On ne compte plus les riverains qui ont dû, à plusieurs reprises, relever le mur de soutènement de leurs vignes, mur dont les eaux torrentueuses viennent à bout en une nuit.

De mémoire de vieillard, jamais le Coulazou n'avait débordé sur un si grand espace , le jour que Moïse, assis sur le banc de courtevie discutait de la valeur des armées de Bonaparte.

11 n'y avait rien d'impossible, disait-il, pour Lui et pour ses soldats.

De fil en aiguille, la discussion s'échauffa et termina bientôt en gageure.

Je traverserais même le Coulazou, aujourd'hui, s'écria-t-il.

Et après un temps de stupéfaction, le voilà qui réunit ses camarades, leur dit son projet, court à sa maison, prend ses enfants, Niel et Ney (ainsi prénommés par amour du premier Empire).

Ses camarades le suivent.

Des tètes brûlées comme lui, faisaient les gens. Et ils arrivent sept sur la rive du torrent.

En avant les braves .' c'est le passage de la Bérésina.

Luttant contre le courant , ses deux enfants sur son échine et le drapeau d'une main, il lance des paroles de victoire.

Suivaient les six autres, hardiment.

Un troupeau de boeufs eût été emporté ; la Bande arriva saine et sauve et trempée sur l'autre rive.

J'avais une véritable vénération surtout de surprise pour cet homme.

Tout était prétexte d'attention pour moi quand je le voyais dans quelque groupe.

Les soirs du mois d'août — mais ici il faut que je vous dise dans ses détails quel est au temps de la canicule l'amusement des graines de lit comme on nous appelait communément — donc, les galopins dont j'étais, s'en vont de rue en rue, faire la cueillette de tous les papiers maculés ou non, trouvés dans les ruisseaux.

On enfile ces innommables perles de qualité peu recommandable dans un fil de fer préalablement arrêté à l'un des bouts. Dès que l'on a obtenu une récolte suffisante on se procure une allumette à l'aide de quelque subterfuge, et l'on met le feu aux morceaux de papier.

Et alors de courir de toutes les forces en faisant tourner à tour de bras ce brandon dont la vitesse de la course et du tournoiement attise la lueur très vive.

Ce cercle de feu dans la mort du crépuscule est d'un effet fantastique et diabolique.

Pour sûr, dit à Moïse notre voisin le boucher, en me voyant passer avec ma brochette, si cela était des billets de banque, nous ne travaillerions pas demain ni les autres jours ?

A nen! répliqua l'autre, il vaudrait bien mieux que la mer fut d'encre et que nos signatures fussent bonnes !

Moïse est mort depuis quelques ans. Je vous avouerai que la sinistre nouvelle me le fit regretter comme un être qui tenait une bonne place dans mes souvenirs d'enfant. Aussi bien en me faisant raconter dans quelles circonstances il avait quitté notre planète, j'appris que jusqu'à la fin cet homme avait eu le dernier mot.

Le voici :

Le médecin venait de quitter sa chambre; et pour sa venue on avait allumé deux bougies; le jour tombait. Avec un haussement d'épaules significatif, le docteur était parti laissant entendre qu'il n'aurait plus à revenir.

La femme tristement remonta les couvertures sur le malade et prenait les deux chandeliers allumés pour les porter autre part. Moïse se retourna.

Que fais-tu, lui dit-il, et tu les emportes ? laisse-les tous les deux, que je veux voir où je passe.

Et il tourna la tête de l'autre côté.

Il était mort.

Paul REDONNEL


Et pour ceux à qui il reste un peu de souffle :

Jacobi marchait de CharlElie Couture

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